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Le mythe de la reine de Saba : voyage olfactif entre histoire, archéologie et légende

« Tes parfums ont une odeur suave ; ton nom est un parfum qui se répand », chante le Cantique des Cantiques (I, 3), poème biblique attribué à Salomon, roi d’Israël. Ces vers, qui exaltent l’amour entre le roi poète et la mystérieuse reine de Saba, résonnent encore aujourd’hui comme une ode au parfum et aux pouvoirs sensuels des fragrances antiques. De la corne de l’Afrique à Jérusalem, l’incroyable récit de la reine de Saba, de ses trésors olfactifs et de son face-à-face passionné avec Salomon a marqué durablement l’imaginaire, l’histoire religieuse, les arts… et la parfumerie.
Cet article vous invite à explorer la légende, ses racines historiques, ses interprétations culturelles — mais aussi les secrets des parfums antiques d’Arabie et d’Afrique, dont l’influence se prolonge dans la création contemporaine.
I. La Reine de Saba : une présence historique et mythique
1. Entre histoire et légende
La rencontre entre la reine de Saba et le roi Salomon est connue par des sources multiples : Bible hébraïque (1 Rois 10,2 ; 2 Chroniques), Coran, littérature chrétienne, et le célèbre récit éthiopien du XIVème siècle, le Kebra Nagast, qui rapporte l’union du roi Salomon et de la reine Makéda, souveraine de Saba.
Cette reine, entourée de mystère, aurait régné sur un royaume s’étendant d’Érythrée au nord du Yémen, contrôlant le commerce des plus rares produits : or, pierres précieuses, épices, myrrhe, encens, civette et ambre gris — ingrédients sacrificiels et sensuels.
2. Récits et symboliques
Les récits bibliques racontent comment la reine, célèbre pour sa sagesse, sa beauté et ses richesses, traverse le désert avec une caravane chargée de présents : « de l’or en abondance, du baume, des pierres précieuses ». Elle met la sagesse de Salomon à l’épreuve avant de s’incliner devant sa grandeur.
Selon le Kebra Nagast ("Gloire des Rois"), lors de cette fameuse entrevue, la reine aurait d’abord refusé les avances du roi. Mais, piégée par un festin épicé qui attise sa soif, elle demande de l’eau : une rivière sera détournée pour elle, et cédera finalement aux bras du roi. De leur union naîtra le futur roi Menelik, fondateur mythique de la dynastie salomonide en Éthiopie.
3. Aux sources du parfum dans l’Antiquité
Cette rencontre sonne comme l’alliance du pouvoir politique, du raffinement et du sacré. Le récit fait la part belle aux parfums : les présents de la reine de Saba sont avant tout des offrandes odorantes — myrrhe, encens, résines exotiques, dont l’usage n’est pas anodin.
II. L’âge d’or de l’Arabie et de la route de l’encens
1. La corne de l’Afrique, berceau des matières précieuses
C’est dans l’actuelle Érythrée, le nord de l’Éthiopie et le Yémen que poussaient autrefois en abondance les arbres à encens (boswellias) et à myrrhe (commiphora), mais aussi que prospérait le commerce des épices, des aromates et de la civette. Les caravanes partaient de Saba pour traverser l’Arabie et rejoindre la Méditerranée, en fournissant l’Égypte, Babylone, Jérusalem et Rome.
2. Encens et myrrhe, les joyaux olfactifs
- L’encens (oliban) : issu de la gomme-résine du boswellia, il exhale des notes boisées, citronnées, balsamiques, presque camphrées. Brûlé dans les temples et palais, il servait à la fois d’offrande aux dieux et de parfum d’ambiance, purificateur d’air et d’âme.
- La myrrhe : obtenue de la sève du commiphora, cette résine délivre une senteur intensément ambrée, médicinale, légèrement fumée, aux nuances animales — parfaite pour l’embaumement, les onguents précieux ou les lèvres et cheveux des amants.
- La civette : extraite des glandes du petit mammifère du même nom, elle donnait une note sensuelle et puissante aux parfums.
- L’ambre gris : substance marine issue des cachalots, mystérieuse, fixatrice de parfums.
Ces substances étaient si sacrées et recherchées qu’elles servaient de véritable monnaie d’échange, réservées aux rois, prêtres et amants privilégiés.
3. Odeurs et architecture du sacré
Le goût de Salomon pour les odeurs se traduit aussi dans l’architecture : le Temple de Jérusalem, selon la tradition, était bâti en cèdre du Liban, genévrier, cyprès et bois odoriférants. L’espace sacré se couvrait de nuages parfumés lors des sacrifices et des liturgies, rappelant la dimension transcendantale et sensuelle du parfum.
III. Découverte scientifique : l’analyse du parfum de la reine de Saba
1. Les secrets de l’encens révélés
Il aura fallu attendre le XXIe siècle pour percer enfin le mystère du parfum de la reine de Saba. En 2016, des chercheurs du CNRS à Nice (équipe de Nicolas Baldovini) parviennent à isoler, analyser et synthétiser les deux molécules jusqu’alors inconnues responsables de l’odeur si particulière de l’encens de Somalie — l’oliban. Par une série complexe d’extractions et de chromatographies sur plus de 3 kilos d’huile essentielle, ils identifient les « acides olibaniques », composés jamais détectés auparavant. Par la suite, ils réussissent à les recréer par synthèse.
Cette avancée ouvre la voie à la production d’encens « à la carte », pour parfumeurs et créateurs du monde entier, tout en assurant le lien avec l’expérience olfactive ancienne.
2. Réinterpréter l’Antiquité dans la parfumerie contemporaine
Grâce à l’analyse moléculaire, le parfum de l’Antiquité peut désormais inspirer nos créations modernes : les acides olibaniques, plus stables et faciles à intégrer, deviennent une nouvelle palette pour les nez innovants, relançant l’attrait pour les senteurs « orientales » et les accords boisés-fumés.
IV. Les parfums, langage amoureux des rois
1. Le parfum dans la séduction
Au-delà de leur valeur sacrée, les parfums jouent dans le récit de Salomon et de la reine de Saba un rôle éminemment charnel. Doués de pouvoirs évocateurs, ils « parent les corps amoureux et éveillent une passion intense », pour reprendre les mots d’Élisabeth de Feydeau. Dans la poésie antique et la tradition biblique, le parfum précède et accompagne la rencontre, marque la mémoire des amants et scelle la fusion des âmes.
2. Les rituels du parfum dans l’Orient ancien
Les grandes civilisations antiques accordaient au parfum un rôle rituel : pour purifier, séduire, guérir, s’élever. Les rois et reines se couvraient d’onguents à base de myrrhe, s’enduisaient d’huiles et de résines, massaient leurs cheveux de baumes aromatiques avant tout rapprochement amoureux ou réunion politique.
Le mythe de Salomon et de Saba érige le parfum en langage de l’amour et de la puissance, liant charnel et spirituel dans un sillage qui ne s’efface pas.
V. Salomon, la reine de Saba et la postérité du parfum
1. Les vers du Cantique des Cantiques
Le Cantique des Cantiques, poème d’amour biblique, multiplie les allusions olfactives : « Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe », « Les odeurs de tes vêtements sont comme l’odeur du Liban », « Tes lèvres distillent la myrrhe ». L’amour du roi Salomon pour sa belle s’écrit en fragrances, en bouquets, en nuages de senteurs.
2. Du récit éthiopien à la dynastie salomonide
Le Kebra Nagast, chronique médiévale du peuple d’Éthiopie, fait de l’union de Salomon et de la reine de Saba le mythe fondateur de la dynastie impériale. Il nous offre une version sensuelle et orientale du récit : la reine résiste d’abord aux avances du roi, accepte de rester à condition de ne rien désirer dans son palais. Mais après un repas épicé qui attise sa soif, elle réclame de l’eau ; une rivière est détournée pour elle, elle cède, et de leur union naît Ménélik, l’ancêtre mythique .
3. Archéologie et traces historiques
Les archéologues s’efforcent de reconstituer la puissance de Saba, royaume brillant par sa maîtrise des routes caravanières et de la parfumerie. Les fouilles au Yémen et en Éthiopie révèlent des cités opulentes, des temples dédiés au soleil et à la Lune, véritables sanctuaires du parfum et des matières première aromatiques.
VI. L’héritage contemporain : parfum, inspiration et création
1. Héritage olfactif
Les matières précieuses offertes par la reine de Saba — myrrhe, encens, ambre gris, bois de cèdre, civette — constituent encore aujourd’hui le socle des grandes familles olfactives orientales et boisées, réinterprétées dans la haute parfumerie. Ces « cadeaux des rois » inspirent une multitude de créations où richesse des résines, suavité des baumes et puissance des bois sacrés fusionnent, pour évoquer voyage, mystère, sensualité et lumière.
2. L’Atelier Parfum et la tradition des fragrances d’exception
Dans l’esprit de ces récits, L’Atelier Parfum sublime des accords inspirés de cette antiquité légendaire :
- Oud, encens et bois précieux, pour évoquer le faste des palais d’autrefois.
- Accords myrrhe-ambre aux muscs voluptueux, pour rappeler les parfums de l’amour et de la royauté.
- Citrus et épices pour suggérer le raffinement solaire de Saba.
Chaque création se veut une exploration — un hommage vivant à l’expérience sensorielle immémoriale.
Conclusion
La rencontre de Salomon et de la reine de Saba incarne, plus qu’aucune autre, le parfum en tant que langage universel : promesse de voyage, onze de sagesse, offrande spirituelle, instrument de séduction et d’éveil aux sens. Les matières premières venues de l’Arabie heureuse, transportées par une reine puissante et indépendante, fondent un mythe fondateur où la fragrance relie l’Histoire, la passion et la création.
En perçant les secrets du parfum royal, la science moderne nous permet de renouer avec le sillage des dieux et des souverains, et d’ancrer dans nos flacons contemporains la mémoire intacte des amours antiques.
Sources
La Croix – "Le parfum de la reine de Saba enfin analysé"
CNRS – "L'origine du parfum de la reine de Saba"
Interbible – "La Reine de Saba : entre mythe, histoire et mémoire olfactive"
National Geographic France – "La légendaire reine de Saba et Salomon : ce que révèle l’archéologie"
Élisabeth de Feydeau, La Grande Histoire du Parfum (extrait cité)
Le Kebra Nagast, chronique éthiopienne, traduction et analyses diverses