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Les parfums à Versailles

Une magnificence olfactive au service du pouvoir
Louis XIV, le Roi Soleil, entend rayonner par la splendeur de son palais, devenu un modèle d’influence pour toute l’Europe. Chaque jour, entre trois mille et dix mille courtisans, artistes, ambassadeurs et visiteurs s’y pressent. Dans un Versailles où le confort reste sommaire, le parfum joue un rôle crucial : à la fois hygiénique, médicinal et social, il sert à masquer les odeurs, protéger la santé et surtout, se distinguer avec raffinement.
Louis XIV et les fontaines parfumées
Dès 1661, le monarque initie la construction de Versailles et insuffle un nouvel élan aux arts et aux lettres. La cour de France devient l’épicentre du luxe, de l’élégance et du plaisir. C’est sous son règne que le parfum s’impose comme un attribut du pouvoir, réservé à l’élite, tout comme il l’était autrefois aux dieux antiques.
En 1693, Simon Barbe, auteur du Parfumeur françois, qualifie Louis XIV de « roi le plus fleurant », moins pour évoquer une odeur corporelle agréable que pour souligner son rayonnement monarchique. Saint-Simon, dans ses Mémoires, dresse toutefois un portrait bien moins flatteur de l’odeur du roi.
À la cour, les parfumeurs élaborent des eaux de senteur sur mesure, destinées à une clientèle illustre soucieuse de se distinguer par son sillage. On embaume les étoffes, on applique des lotions parfumées, des crèmes enrichies de vanille ou de cacao. Même le tabac est aromatisé, comme en témoigne le prince de Condé, amateur de senteurs personnalisées.
Des espaces dédiés aux bonnes senteurs
Pour séduire ses favorites – notamment Louise de La Vallière, Marie-Angélique de Fontanges et la célèbre Madame de Montespan – Louis XIV développe un goût marqué pour les parfums capiteux. Il commande à l’architecte Le Vau la construction d’un petit château dans le parc de Versailles : d’abord baptisé Trianon de Flore, puis Trianon de Porcelaine, il est entouré de fleurs rares et puissamment odorantes, dans un décor saturé de senteurs.
Dans les parterres dessinés par Le Nôtre, le choix des essences florales repose sur leur intensité aromatique : jasmin, tubéreuse, muscade, fleur d’oranger… Simon Barbe précise : « Ce sont les odeurs les plus fortes. On les choisit à cause de l’usage des peaux, employées à couvrir le corps des femmes, les bêtes et autres semblables ouvrages. »
Vers la fin de son règne, Louis XIV se détourne des compositions complexes pour ne plus apprécier que la fleur d’oranger, qu’il fait même couler dans certaines fontaines de Versailles. Son eau de senteur personnelle est extraite des bigaradiers de l’Orangerie, vaste édifice conçu par Jules Hardouin-Mansart entre 1684 et 1686. Le roi y fait entreposer près de 2 000 caisses d’arbres d’oranger sur trois hectares.
Dans les dernières années de sa vie, souffrant de migraines et de malaises, Louis XIV bannit tous les parfums de la cour, les considérant responsables de ses maux.
Louis XV et la cour parfumée
Sous le règne de Louis XV, à partir de 1722, l’hygiène progresse et les élites découvrent l’art de « sentir bon ». Après les troubles de la Régence, la cour retrouve une insouciance où le parfum devient omniprésent. On en change selon les jours, parfois même selon les heures. Seuls les philosophes, par esprit de provocation, revendiquent le refus des senteurs raffinées au profit d’une austérité odorante.
Cette époque mérite son surnom de « cour parfumée », tant l’usage du parfum y est codifié. Le chroniqueur Louis-Antoine Caraccioli note en 1768 que « tous les vernis se parfument, des lambris aux pensées », preuve que l’obsession olfactive s’étend bien au-delà de la peau.
Le roi lui-même prend part à cette culture olfactive : chaque 1er janvier, il offre aux dames de la cour des parfums de sa propre composition. Quant à la marquise de Pompadour, grande amatrice de cosmétiques et de parfums, elle dépense près de cent mille livres par an pour ses flacons. Son influence est décisive dans le raffinement des usages. Elle soutient la manufacture de Sèvres, productrice de flacons en biscuit et porcelaine, et fait même offrir aux diplomates étrangers des essences de rose distillées à Versailles – certaines, dit-on, par le roi en personne.
Au Grand Trianon, un jardin aromatique est dédié à la culture de plantes et de fleurs destinées à l’élaboration des eaux de senteur royales, confirmant le rôle central du parfum dans la vie de cour.
Du lourd parfum animal à la fragrance plus subtil
Désormais, il s'agit pour les hommes comme pour les femmes d'être des "insectes légers qui brillent dans leur parure éphémère, papillonnent et secouent leurs ailes poudrées" comme mentionné dans L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Le lourd parfum animal se dissipe bientôt au profit des volatiles senteurs balsamiques et florales. Les narines éduquées à l'hygiène, nouvellement arrivée d'Angleterre, peuvent s'ouvrir à des fragrances plus subtiles. Le parfum ne se manie plus pour se protéger d'autrui ou ne pas lindisposer par des odeurs incommodantes, mais pour le séduire.
Alors qu'au XVIIe siècle le parfum ne figurait pas dans les lois de la galanterie, datant de 1644, le voici en bonne place dans la coquetterie masculine.
C'est également à la cour de Louis XV que l'eau de Cologne arrive à Versailles rapportée par des soldats revenus de la geurre de Sept Ans. Les gens de la cours, dont le très hypocondriaque Louis XV, commencent à l'utiliser pour ses vertus tonifiantes et revigorantes. Connaissant l'usage salutaire des bains parfumées pour la santé, le souverain se fait aménager en 1760 une nouvelle salle de bain à Versailles.
Versailles aujourd’hui : renaissance du jardin des parfumeurs
Trois siècles après l’âge d’or du parfum à la cour, le Château de Versailles renoue avec cette tradition en ouvrant au public un jardin des parfumeurs, inauguré en 2023. Situé dans un coin paisible du domaine royal, ce jardin secret, auparavant fermé, a été entièrement restauré selon l’esprit du XVIIe siècle. Il offre aux visiteurs une immersion sensorielle au cœur des plantes et des fleurs qui ont nourri l’imaginaire olfactif de la cour.
Imaginé comme une évocation vivante de l’époque de Louis XIV et Louis XV, le jardin rassemble plus de 300 espèces végétales, choisies pour leur rôle dans l’histoire du parfum : rose centifolia, jasmin, lavande, iris, tubéreuse, ou encore réséda. Des plantes médicinales, des arbustes odorants et des essences rares évoquent les secrets de l’alchimie florale autrefois pratiquée à Versailles.
Ce projet a été conçu en collaboration avec des nez contemporains et des botanistes, avec le soutien de maisons de parfum et d’artisans. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de redécouverte du patrimoine sensoriel, au croisement de l’histoire, de la science botanique et de la création contemporaine.
Le jardin ne se contente pas d’être décoratif : il raconte une histoire olfactive, celle d’une cour où le parfum était un art à part entière, une arme de séduction, un marqueur social, mais aussi un remède. Des visites guidées, des ateliers de distillation et des parcours sensoriels permettent aujourd’hui au public de renouer avec cette tradition oubliée.
Comme le souligne un expert du Getty Museum, Versailles était autrefois un théâtre d’extravagance où les parfums dissimulaient les réalités moins glamour de la vie de cour. Ce jardin contemporain, à la fois pédagogique et poétique, fait revivre les fastes parfumés du passé, tout en sensibilisant à la beauté fragile de la nature.
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